A LA MEMOIRE D'UN ANCIEN D'AVORD - UN AMI DISPARU...
par Pierre MAYET.
De temps en temps il m'arrive de sortir de leur nid douillet
mes numéros d'ANTAM INFO et leurs frères du COTAM/FAP, et de feuilleter quelques pages au hasard.
Je suis ainsi tombé récemment sur l'évocation de certaines formules dans le genre "transporter
une tonne de patates ou une tonne de généraux, c'est toujours transporter une tonne ..." (1),
certitude que devait avoir tout bon transporteur s'il voulait vraiment se concentrer sur sa tenue de cap et d'altitude,
surtout dans les régions mal pavées et dans les CuNimb, ou au cours de sa percée.
Ce qui m'a remémoré deux répliques de mon ami François Guillamin (surnommé "Dodol",
je n'ai jamais su pourquoi), alors qu'il était "cocher" au Groupe "Algérie",dans
les années 1958 /1960, et que, alors moi-même cocher au "Béarn"au Bourget, je lui
rendais visite à l'occasion d'escales à Maison Blanche.
L'une de ces répliques venait en réponse à une bobonne de biffin -ou de cavalier- , très
"Marie Chantal" et qui rejoignait son époux dans les sables de Béchar. Elle s'était
adressée à Dodol en ces termes :
"Monsieur le Pilote (!!), y aura-t-il beaucoup de trous d'air sur le pâârcours ?"
Et Dodol, qui avait un bon talent d'imitation, de répondre sur le même ton :
"Mais chêêre Mââdâme, serait-ce que vous prendriez l'ââtmosphère
pour un fromage de gruyêêre ?"
L'autre était destinée à un quidam qui s'inquiétait des états d'âme du
pilote que pouvait provoquer le contenu des manifestes, et qui s'était vu répliquer d'une façon
moins...mondaine :
"J'aime mieux transporter des camemberts que des passagers. Ca pue autant, mais au moins ça gueule
pas..."
Et de fil en aiguille, sans passer par le SHAA (oui, je sais..., c'est un peu tangent...), quelques souvenirs de
ma cohabitation avec Dodol me sont brusquement revenus en mémoire.
Dodol, était un bon copain, devenu un véritable ami . Ce qui, nous avait rapproché, en dehors
de bons et moins bons moments passés côte à côte au cours de notre passage dans l'Armée
de l'Air, c'est que nos pères respectifs avaient vu le jour dans la même commune du Haut Jura. Le
sang Franc-Comtois, ça créé des liens.
Nous nous étions connus à Avord (enfin, nous y voilà, direz vous...), lui "exfiltré"
du "Franche-Comté"retour d'Indo, et moi de l'"Anjou", Groupe des Seigneurs, comme chacun
sait, rentré de Tan Son Nhut à Blida avec ses "Nord", leurs pièces détachées,
son Personnel , ses bagages, etc...
Nous connaissions bien Avord .
Nous nous y avions souffert lors de notre transformation bi-moteur. Dodol -retour des U.S sans " ailes "-
sur MD 312 , votre serviteur sur "Siebel" en revenant du Canada quelques années avant, breveté
"RCAF " et macaroné par équivalence.
Mais ce coup ci, nous tenions notre revanche, car nous y étions affectés comme moniteurs pour deux
ans, une façon comme une autre qu'avait imaginé le Commandement de nous faire reposer sur les bords
de l'Yèvre des flots fougueux du Fleuve Rouge , du Mékong et autres rivières plus ou moins
accueillantes, avant de retrouver notre grande famille, le Transport.
Au moins, là, il n'y avait personne pour nous tirer dessus.
Dodol retrouvait ses "Flamants" avec leurs satanés "Renault-SNECMA 12 S" à hélices
tripale à commande électrique. Ca changeait des "Pratt" du Dak ou des "Bristol"du
Noratlas, n'était-ce que pour ce qui est de la synchronisation et du régulateur d'hélice.
Et de la température culasses dont le niveau réservait parfois quelques surprises, car les derniers
cylindres mettaient une mauvaise volonté évidente à refroidir correctement.
Pour ma part, je découvrais le"Dassault", mais j'avais une dent contre ces 12 S qui motorisaient
déjà les "Siebel" de construction française(NC 701) lorsque j'étais en stage
de transformation bimoteur.(ceux récupérés sur les Allemands, Si.204 D étaient motorisés
en "Argus", moteur beaucoup plus fiable et hélice bipale à régulateur "moulinet")
.
D'ailleurs, il m'ont bien rendu la monnaie de la pièce plusieurs fois.
Mais je dois dire que, finalement, je ne regrette pas cette petite vie de fonctionnaire, logé - ce qui était
très rare à l'époque - dans la mesure où elle n'a effectivement duré que deux
ans. Parce que 8 heures-midi, 14 heures-18 heures, et toujours en place droite, ce n'était pas vraiment
ma tasse de thé.
Heureusement, les à cotés étaient plutôt agréables : pêche, chasse, bon
lait de la ferme, vin de Sancerre ou de Pouilly.
Et puis , le Colonel qui Commandait la Base quand je suis arrivé et auquel je devais cette affectation
, était un grand ami de la famille (2). Ce qui ne gâchait rien ....en dehors du service.
Car sur la Base, ce n'était plus le grand frère, mais " mon Colonel.." En fait, c'était
très bien comme ça.
Pour ce qui est de la revanche, nous étions refaits...
Car nous voilà promus moniteurs à la "5 " , escadrille dont les moniteurs avaient la charge
de...former les moniteurs...ceci à la suite de notre propre période de formation ( faut suivre...)
Par conséquence de cet honneur et de ce privilège, nos stagiaires allaient se trouver être
quelques-uns de nos petits camarades venus des Groupes de Transport ou de la "Liaison bimoteur"se mettre
au vert comme nous quelques temps en terre berrichonne. Ce qui nous rendrait notre "pensum" moins fastidieux.
La "5," c'était le Capitaine Costa, le Lieutenant Lagoarde, l'A/C Luty, l'Adjudant Even, le Sergent
Guillamin , et votre serviteur, Sergent/Chef puis Adjudant de son état, et surnommé "du Terrieux",
rapport au nom des vestiges d'un ancien domaine agricole enclavé sur le terrain militaire, le "Petit
Terrieux". Une grange et la bergerie, cette dernière transformée en deux très agréables
logements dont un m'avait été affecté.
Et situé à proximité de la villa du Colonel, ce qui permettait à ces dames, la sienne
et la mienne, de ne pas trop se déplacer pour cancaner ,à nos gosses de se chamailler sur le mème
territoire, et à nos chiens de se rendre visite sans s'égarer. (3)
Dodol, lui, était célibataire et logeait sur la Base. Propriétaire d'une superbe Simca Aronde
"Grand Large" (bleu ciel, évidemment) et d'une "Vespa", fruits de quelques francs économisés
de force parce que versés sur un compte courant en France pendant son séjour en Indo.
(Ce qui était un gros progrès par rapport au résultat financier de mon premier séjour
en Extrême Orient, effectué en 1948/49 , alors que j'étais aussi célibataire. Avec mon
pécule, j'avais pu alors, à grand peine, me payer un poste radio avec tourne-disque et une montre
bracelet "Oméga" extra plate, grand luxe de l'époque).
Bref, ces deux véhicules voisinaient à tour de rôle selon qu'il s'agissait de la semaine ou
du week-end dans ma moitié de grange avec le rutilant cabriolet blanc garni de cuir rouge Simca "Plein
Ciel" d'un autre camarade, ma propre (et plus ancienne) "Aronde", la prosaïque mobylette qui
servait à mes déplacements "professionnels", quelques divines bouteilles en provenance
de la cave paternelle, des pommes de terre, du charbon et du bois - chauffage par poêle oblige -, des outils
de jardin, quelques babioles pour la pêche telles qu'asticots et lombrics, le tricycle, la trottinette et
la voiture à pédales du gamin, des seaux de peinture, etc..., le tout sous la garde de magnifiques
loirs qui se délectaient des fruits stockés dans son côté de grange par mon voisin
de bergerie .
Sur la Base, dans son ensemble, l'ambiance était très conviviale. Mais à la "5",
c'était franchement agréable, et les différences de grades ne nuisaient pas à cet esprit
de camaraderie que nous connaissions du Transport, bien que nous en soyions les deux seuls représentants.
Nous formions une bonne équipe; personne n'avait pris "la grosse tète", et le sourire était
de rigueur.
Costa prenait un malin plaisir à écrire "Dodol" ou "du Terrieux" sur le tableau
d'ordres au lieu de nos patronymes, qu'aucun de nos camarades n'utilisait plus...
C'était aussi un virtuose de la peinture en bâtiment.
Il faut dire que notre baraque d'Escadrille, comme les autres, était en bois, et nous assurions son entretien
dans la mesure de nos moyens.
Costa et moi avons repeint les cloisons du bureau une semaine où nous étions tous les deux interdits
de vol à la suite de quelque excentricité à laquelle nous nous étions livré
chacun de notre côté. Lui souffrait d'un bon lumbago et moi d'une entorse à l'épaule
droite. Il peignait le haut, et moi le bas.
Luty était un champion du ping-pong. Mais les autres se débrouillaient bien. D'ailleurs, au mème
titre que tout transporteur doit pratiquer le jeu de tarots, les stagiaires étaient obligés d'apprendre
à taper sur la petite balle...
Lagoarde était un fana du vol de groupe et du simulacre d'attaque au sol en formation, et aussi du cèpe
de Bordeaux, son pays.
Quant à Even, je crois me souvenir qu'il partageait avec Luty un amour particulier pour les variations
de QDM, procédure de percée un peu...dépassée et que nous avions oublié en
Groupe, mais toujours en vigueur à Avord (4).
Dodol avait le don de la plaisanterie et des bons mots. Ce qui ne l'a pas empêché de circuler pendant
deux mois en grommelant après son scooter parce qu'il était déséquilibré, avant
de s'apercevoir qu'un petit malin lui avait glissé un énorme pavé dans le coffre droit.
Un jour, nous avons quitté la"5". Oh, nous ne sommes pas allé bien loin.
Nous servions quelquefois de pilotes à l'escadrille de formation des radios-navigateurs, notre voisine immédiate,
sur MD 311 ("Flamant" à nez vitré).
Les triangles de navigation et les exercices de bombardement sur le Polygone de Bourges nous changeaient agréablement
de la place droite.
Et un jour, miracle, la "7" - c'était le numéro de cette Escadrille, grand Chef Capitaine
Cocogne - touche deux "Dak" !
Pour Dodol et pour moi, le C 47 était loin d'avoir quelque secret. Nous en avions un "paquet"
d'heures sous beaucoup de cieux plus ou moins cléments.
Par voie de conséquence et par bienveillance du Commandant de la D.I.V., nous voilà affectés
à la "7", Section C 47.
Nous avons joué (encore...) les moniteurs pour quelques uns des cadres de l'école qui n'avaient
jamais mis leur postérieur sur le siège pilote de cet avion merveilleux, effectué des "triangles"
plus importants, et surtout piloté nos radio-navigateurs en fin de stage dans les Afriques, noire et blanche.
Nous avions un peu retrouvé le bon temps...
J'ai quitté Avord et Dodol pour rejoindre le "Béarn" fin 1957.
Dodol est parti au Groupe "Algérie" quelques temps après et je l'ai donc revu quelquefois
à Maison Blanche.
Et puis surtout en stage de ski à Méribel-Les Allues. La bonté de nos leaders pilotes respectifs
a fait que nous avons pu chaque année effectuer ce séjour ensemble et participer ainsi à
quelques aventures dont un ravitaillement en lait de l'Hôtel, le "Lac Bleu", un certain soir avec
le patron du lieu, dont on parle encore dans les chaumières...Pour résumer, partis à 20 heures
nous avons bien rapporté le lait,... vers trois heures du matin, mais il n'y a pas que la voiture qui était
chargée...
J'ai rencontré Dodol quelques années plus tard à Lyon et au Bourget alors qu'il avait quitté
l'Armée et qu'il était devenu pilote d'avions d'affaires.
Nous nous sommes ensuite perdus de vue. Dieu seul sait pourquoi.
J'ai appris qu'il avait poussé les manettes pour la dernière fois il y a deux ou trois ans.
Seulement, voilà, ce coup ci, il n'y aura plus ni percée, ni atterrissage....
Adieu, Dodol, tout le monde t'aimait bien, et moi j'ai perdu un ami...
Pierre MAYET , Mai 2000
(1) - Le Capitaine de Fontanges, le Baron,
ancien des "Marauder", ancien d'Avord, ancien du GMMTA/COTAM et bien connu dans l'Armée de l'Air
et autres communautés pour ses exploits aéronautiques et son franc parler, ne disait pas "patates".
Il employait un terme plus...gras.
(2) - Il s'agit du Colonel Bouyer
(3) - La villa qui était celle du Colonel à l'époque existe toujours. C'est celle qui est
située à environ 5 m au sud-est du manège du Club hippique, bâtiment qui servait
alors de dépôt à du matériel d'infrastructure.
Quant à mon logement, au lieu-dit "Le Petit Terrieux", il existe également toujours, y
compris la magnifique grange, mais la bergerie ne constitue plus qu'un seul logement. Il se situe à l'est
du manège, à environ 300 m. Un chemin goudronné, empierré à l'époque,
y conduit depuis l'ancienne villa du Colonel.
(4) QDM : groupe du "code Q" utilisé alors pour les communications radio surtout en graphie,
pour désigner un mouvement, une situation, un événement, etc...exemple : QRE Bécon
les Bruyères 10:45 Z = heure estimée d'arrivée à Bécon les Bruyères,
10 heures 45 TU. Langage passé dans le langage courant des équipages de Transport et certaines communications
en phonie.
QDM se traduit par "cap magnétique à prendre pour se diriger vers la station gonio qui vous
relève".
La "variation de QDM" était une procédure désuète, mais demandant une grande
précision dans son accomplissement, et qui a rendu de grands services lors de percées par très
faibles plafond et visibilité aux pilotes qui (comme nous, en toute modestie) la maîtrisaient bien.
Simple, mais trop longue à décrire. Ce sera pour une autre fois.