L'épopée Indochinoise 1949
- 1951
La guerre d'Indochine qui s'est déclenchée en 1945 dure et s'amplifie d'année en année,
nécessitant relève des personnels et constitution de nouvelles Unités de renfort. La 5ème
Escadre de Chasse qui est à Sidi-Ahmed (Bizerte) se trouve désignée pour partir en "
tour d'opérations " d'un an en Indochine, avec armes , bagages… et avions. Ces avions sont des chasseurs
Américains P-63 " Kingcobras ". Il est alors constitué un détachement complémentaire
de personnel mécanicien de diverses spécialités qui assurera l'entretien des matériels.
Curieusement, on y inclut une seule personne du Service général, en l'occurrence un comptable "
technique "… et c'est moi ! Heureusement, il y a de nombreux copains mécanos d'El-Aouina qui en font
partie, donc nous formons une bonne équipe.
Tous les personnels qui sont envoyés en Indochine sont des engagés ou de rares appelés du
contingent qui acceptent d'y aller ( attirés par une prime substantielle ou par l'attrait de l' "aventure
"). Donc, bon gré mal gré pas question de renâcler ! Avant mon départ, je dus céder
au premier offrant ma moto-sidecar pour un prix très modique, bien sûr…
Tout l'ensemble de la 5ème Escadre (Groupes 1/5 Vendée et 2/5 Ile-de-France) et de son détachement
auxiliaire est rassemblé a Sidi-Ahmed pour être embarqué sur bateau en direction de Saïgon.
Il y aura le S/S Champollion pour le personnel et le porte-avions Dixmude pour les avions (qui sont démontés
et emballés en containers).
Nous embarquons le 30 Juin 1949 pour une longue traversée dont les escales seront Port-Saïd (à
l'entrée du Canal de Suez), puis Djibouti, Aden, Colombo (Ceylan), Singapour et enfin Saïgon, après
la lente remontée de la rivière Saïgon sur plus de 100 kilomètres.
La vie à bord était une découverte pour la plupart d'entre nous (mises à part les traversées
de la Méditerranée, très courtes). Mis à part les officiers et adjudants qui étaient
en 1ère ou 2ème classe, nous autres sous-officiers étions dans des cales très sommairement
aménagés :quelques tables et bancs, et des crochets étant fixés au plafond, destinés
à accrocher chacun son hamac pour la nuit. Pas le moindre confort, seulement quelques bacs avec une rampe
de robinets pour la toilette.
Nous étions en Juillet, donc avec des températures assez fortes dès que nous arrivons au large
de l' Egypte. Dès les premiers jours, je trouvais que les nuits dans ces cales étaient trop pénibles
à supporter (chaleur et odeurs). Je me mis donc à la recherche d'une échappatoire. Je découvris
que les canots de sauvetage qui étaient sur le pont, le long du bastingage, bâchés , pouvaient
constituer une couchette acceptable. Et le fait est que je passais dorénavant toutes mes nuits roulé
dans ma couverture dans l'un de ces canots. Quelques copains m'imitèrent d'ailleurs. Seul inconvénient,
il fallait veiller à ne pas se faire repérer lorsque les matelots du bord lavaient le pont très
tôt le matin. Donc dès l'aurore, je déguerpissais en douce !
Les escales où nous descendions à terre furent Djibouti (une dizaine d'heures en soirée) ,
Colombo (Ceylan/SriLanka) pour une journée et Singapour, pour une partie des passagers (1° et 2°
classe).
La mer fut plutôt calme pendant la première moitié du voyage, mais devint beaucoup plus agitée
dans l'océan indien, car on se trouvait en pleine saison de la mousson d'été, avec d'importants
orages et des pluies torrentielles. Le mal de mer fut maîtrisé grâce a une animation permanente
des boute-en-train parmi les passagers. C'est un phénomène assez curieux de voir combien les distractions
peuvent faire oublier ces malaises.
Nous fumes soulagés lorsque nous arrivâmes en vue du Cap St-Jacques et de l'embouchure de la rivière
Saïgon. Après le long et lent cheminement dans cette rivière, le port de Saïgon fut atteint
et nous débarquions sous une pluie battante et une atmosphère étouffante.
Malgré notre accoutumance à l'Afrique du Nord qui était déjà un dépaysement
vis à vis de la métropole, il fallait découvrir une nouvelle vie bien différente. Là
où nous débarquions (le sud de l'Indochine), c'était le 22 juillet 1949, donc la saison d'été
: pluie et chaleur intenses.
Après la réception-inspection traditionnelle sur les quais du port et sous la pluie, des camions
nous acheminaient vers la base de Tan-Son-Nhut, à la sortie nord de la ville.
Nous nous installions dans ces baraques métalliques dites " Fillod " parce que fabriquées
précisément par les Ets Fillod de St-Amour.. La nuit, nécessité absolue de dormir sous
la moustiquaire, bercé par le concert des crapauds-buffles, un vrai vacarme incessant ! ! !
Il fallut plusieurs jours pour ne plus sentir la houle sous les pieds après plus de trois semaines en mer.
Nos premiers jours en Indochine furent consacrés au déchargement du matériel qui avait été
acheminé sur notre Champollion et surtout sur le porte-avions Dixmude. Il fallut en manutentionner, de ces
caisses de munitions enfouies en fond de cale et à charger sur ces camions bizarres " Thornicroft "
à châssis très haut, de fabrication anglaise. Les avions, dans leur container individuel étaient
évidemment transbordés par grue sur des remorques plate-forme .
Les deux Groupes de chasse arrivant donc en renfort n'étaient ici à Saïgon que pour se rendre
opérationnels et devaient monter dans le nord aussitôt les avions en état de combat. Le Groupe
1/5, le premier à être opérationnel quitta Saigon pour Hanoï (GiaLam) en septembre. Notre
détachement auxiliaire devait rester jusqu'au départ du 2ème groupe. Pendant les 4 mois que
nous passâmes à TanSonNhut, nous n'eûmes pas beaucoup l'occasion de faire du " tourisme
". Les sorties en ville étaient parcimonieusement accordées parce que la sécurité
en ville n'était pas évidente (c'est du moins ce que l'on nous disait) et que nous avions un grand
besoin de profiter des moments de loisirs pour nous reposer.
Lorsque les derniers avions furent partis vers le nord, ainsi que le personnel du Groupe 2/5, notre petit détachement
(une quarantaine de sous-officiers , de sergent à adjudant) devait aussi faire le voyage. Mais au lieu de
rejoindre Gia-Lam comme l'Escadre de Chasse, c'est à Bach-Maï (une autre base proche de Hanoï
aussi) que nous étions destinés. Nous avions l'honneur d'avoir un nom d'Unité… le Détachement
du Parc 1/482 de Bach-Maï (ce Parc 482 étant lui, à Bien-Hoa…). Nous aurions pu être acheminés
par avions de transport militaires, mais c'est encore par bateau qu'on nous fit rejoindre notre nouvelle affectation.
Ce bateau au nom plein de promesses, puisqu'il s'appelait SS.Espérance, était en réalité
un cargo mixte charbonnier - passagers. Je pense qu'il devait descendre chargé du charbon du Nord et remonter
avec passagers et matériels militaires principalement. Ce qui aurait pu se faire en une journée ou
deux dura en fait onze jours . Cabotage le long des côtes, escale de 3 jours à Tourane, mais sans
descendre du bateau. Durant ce voyage, nous imaginions toutes sortes d'activités ludiques pour tuer le temps.
Notre détachement constituait la totalité des passagers, et l'équipage était civil,
majoritairement vietnamien. Donc pas de discipline particulièrement stricte mais un rata bien médiocre.
Le débarquement se fit à Haïphong et la deuxième partie du voyage s'effectua en train
pour rejoindre Hanoï.
L'Indochine présente la particularité d'avoir un climat très différent du Nord au Sud.
Nous arrivions, fin Novembre 49, en début de la saison d'hiver qui, comme en France est relativement froide.
En l'occurrence, pluie et crachin fréquents avec températures entre 10 et 20 degrés maximum.
Par contre dans le sud, c'était la saison sèche, avec température de 25 à 30° et
plus. L'été, dans le Nord est sec et très chaud.
Nous étions sensés effectuer un séjour relativement court en Indochine, y étant venu
en " Tour d'Opérations " d'un an, alors que beaucoup d'autres y étaient en " Séjour
Colonial " de 2 ans. En réalité nous allions séjourner 18 mois.
Notre arrivée et installation à Bach-Maï se fit sans cérémonie. Les personnels
en service en Indochine vivaient surtout dans l'attente du retour. Seuls les navigants participaient réellement
aux opérations de guerre. Le personnel au sol, malgré qu'il était très impliqué
par l'entretien et l'armement des avions n'avait pas beaucoup de risques à assumer. La protection de la
base contre les coups de main de l'ennemi, les " Viets " était la principale activité militaire.
Nous fumes agréablement surpris de nous voir attribuer des logements en dehors de la Base (quoique tout
proches). Comme nous étions en dehors de l'enceinte gardée militairement, nous étions armés
d'une mitraillette chacun. Il était recommandé de la mettre sous le traversin pendant la nuit, aussi
bien pour l'avoir à portée de main que pour éviter de se la voir confisquer par des intrus.
Les Viets avaient en effet une très grande capacité de s'infiltrer partout, la nuit. Tandis que nous
dormions paisiblement, une certaine nuit, par des boyaux souterrains que personne n'avait repérés,
ils débouchèrent au beau milieu des parkings d'avions. A la barbe des sentinelles sur place, ils
parvinrent à placer un réseau de mines au pied d'une dizaine d'avions Ju-52, et de déclencher
un vrai feu d'artifice en se retirant par là où ils étaient arrivés. Comme nous avions
consigne de garder les logements tant que nous n'étions pas l'objet d'attaques, ce n'est qu'à la
prise du boulot le matin que nous découvrîmes l'étendue des dégâts : cette dizaine
d'avions sur le gésier et pratiquement hors d'usage définitivement.
A partir de cet événement, il fut constaté que nos logements ne tarderaient sans doute pas
d'être une cible pour cet ennemi hardi. Nous avons donc regagné des logements à l'intérieur
de la base. La sécurité fut aussi beaucoup renforcée.
Les samedis après-midi et les dimanches, nous avions assez de facilités pour sortir en ville. Par
contre pas beaucoup de moyens de transport. La bicyclette est très répandue dans le nord, de même
que les cyclo-pousses . Comme il y avait une fabrique de vélos à Hanoï, avec des camarades,
nous y sommes allés et avons fait l'acquisition d'un vélo chacun. A partir de ce moment, nous avions
toutes facilités pour nous rendre en ville et même de rendre visite aux autres copains de la 5°
Escadre sur la base de Gia-Lam, en traversant toute la ville d'Hanoi, et le Fleuve Rouge par le célèbre
Pont Doumer (réalisation Eiffel).
Dès le printemps nous aimions bien nous rendre en ville (de jour uniquement), à faire du shopping
Rue de la Soie ou autres rues avec chacune leur spécialité, à musarder le long des rives du
Petit Lac, en plein centre ville. Il y avait environ 4 kilomètres entre la base et le centre ville, sur
un terrain très plat, donc une vraie ballade.
Les autres distractions étaient très rares, pas de cinéma sur la base même. Traditionnellement
, il y avait un établissement spécial aux initiales de B.M.C. à quelques centaines de mètres
de la base. Cette maison qu'on appelle pudiquement " close " était tenue par des civils, mais
sous la surveillance sanitaire et militaire de l'armée. Elle était fréquentée par toutes
les armes en garnison à proximité. Il y avait la Légion Etrangère, des Goumiers, Marsouins,
etc… Les autochtones autre que les pensionnaires ne fréquentaient guère la maison.
Le travail que j'avais à assumer sur la base consistait en comptabilité technique de matériels…
ni glorieux ni passionnant. Par contre la camaraderie entre nous était très forte, compensant beaucoup
la frustration de se trouver éloignés du pays. Il y avait un certain nombre de gens mariés,
pères de famille, c'était dur pour eux, plus que pour les célibataires.
Je fis l'acquisition d'un phono et de quelques rares disques (Tino Rossi, Piaf…), mais bien vite les copains, lassés
de toujours entendre ces disques ressassés, se mirent à en acheter des nouveaux pour étendre
le répertoire.
Chaque jour, nous avions un moment privilégié, c'était le casse-croûte du matin alors
qu'il ne faisait pas encore trop chaud. Nous avions une pause assez importante pour cela. Nous regagnions le mess
pour un vrai repas " à la carte ". On pouvait choisir poulet rôti (un pour deux) ou cochonnaille,
camembert, bananes ou ananas le tout arrosé d'une bonne bouteille de Bourgogne si l'on voulait. Bien souvent,
au repas de midi nous n'avions pas repris faim, ou la chaleur nous enlevait l'appétit.
Dès que nous eûmes passés une année sur cette terre Indochinoise, l'illusion d'un retour
proche gagna les esprits. Mais il fallait bien admettre que le schéma du Tour d'Opérations d'un an
ne nous concernait pas spécialement, étant séparés de notre 5ème Escadre d'origine.
D'ailleurs même pour cette Unité combattante, il fut décidé que les premiers mois passés
dans le Sud pour le montage des avions étaient hors décompte, et vu la situation militaire qui allait
en se dégradant, le Commandement n'était pas enclin à se priver d'effectifs.
En décembre 1950, l'Armée avait déjà dû évacuer tous les postes au nord
d'Hanoï. Toutes les unités qui n'étaient pas indispensables aux opérations durent se
replier vers le sud. Notre petit détachement reçut l'ordre de rejoindre à Bien Hoa, l'unité
dont il dépendait. Cette fois c'est un avion de transport Dakota qui nous y achemina.
A cette époque Bien-Hoa (à 30 kms de Saigon)était une petite base aérienne sans unité
combattante implantée là. Plus tard, elle devint une très importante base Américaine
et Vietnamienne.Bien que nous étions sensés faire partie intégrante du Parc Colonial 482,
nous restâmes une équipe groupée et à part, avec seule préoccupation réelle
celle d'un retour proche !
Nous étions logés dans des sortes de paillotes d'aspect très exotiques , mais sans confort
aucun. Elles étaient implantées dans une plantation d'hévéas en bordure de la base.
Très peu astreints au point de vue travail, nous avions beaucoup de latitude pour baguenauder dans la petite
ville toute proche. Charmante bourgade pas encore éprouvée par les durs combats qu'elle subit plus
tard.
Après deux mois de cet intermède, arriva enfin la nouvelle du rapatriement : Retour à Saïgon
pour les formalités de départ. Chacun se met en chasse aux souvenirs à rapporter en France
si ce n'est pas déjà fait, et remplit la grande malle qui sera acheminée par bateau, alors
que notre retour est prévu par avion militaire. Pour ma part, peu accoutumé aux cadeaux dans ma famille,
ce fut plutôt succinct.
Nous embarquons donc sur quadrimoteur DC-4 Skymaster le 7 février 51 pour un voyage avec nombreuses escales
qui s' achève à Paris-Orly le 9 Février. Etant parti de Saigon en pleine saison sèche
(et chaude), Nous voilà au plus fort de l'hiver en France, avec des vêtements civils plutôt
légers. En effet, devant faire des escales en territoires étrangers, la tenue militaire avait été
interdite. Pour la plupart d'entre nous, il y a plus de deux ans que nous n'avions pas foulé le sol de la
métropole, n'ayant pas eu de congés avant d'embarquer de Tunisie. Nous nous séparons avec
émotion après ces longs mois d'intense camaraderie.
Avec un camarade qui rejoignait Pierre-de-Bresse, où il devait se marier, nous descendîmes par le
train, faisant la rencontre d'un journaliste de Radio Luxembourg entre Paris et Dijon. Ce journaliste ne manqua
pas de nous interviewer longuement sur cette guerre d'Indochine à laquelle la population s'intéressait
assez peu vu l'éloignement. Cependant, il y avait une importante contestation de la gauche politique (principalement
communiste) quant à la poursuite de ce conflit et à l'envoi de renforts de troupes. Malgré
cette contestation, il fallut encore 3 années avant que le dénouement arrive après la tragédie
de Dien-Bien-Phu et les accords de Genève.
Un
chapitre a été consacré à "L'Armée de l'Air dans la guerre
d'Indochine -1939/1954 .
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Le S/S Champollion qui m'emmènera de Bizerte à Saïgon; 30/06 - 22/07/1949
Saigon, 1ère découverte de la ville.
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