En Tunisie 1946 - 1949
Nous avions le choix de notre affectation en fonction de notre classement. Quand
vint mon tour, j'avais entre autres, la possibilité de choisir la Tunisie (Base d'El-Aouina, près
de Tunis). Rêvant de partir outre-mer, et pensant que l'exotisme me ferait oublier la frustration de cette
spécialité bien loin de mes ambitions, c'est pour cette destination que j'optais. Après une
courte permission d'adieu à ma famille, je rejoignais le Centre de transit de Marseille (Camp Ste-Marthe),
en attente d'embarquement par bateau pour Tunis. Quelques jours d'attente et me voilà montant à bord
du G. G. Chanzy, pour une traversée de la Méditerranée, deux journées et une nuit.
Première découverte de la mer et du mal de mer, mais je n'en étais pas trop affecté
!
Le lendemain donc, nous entrions dans le canal de la Goulette conduisant au
port de Tunis . C'était le 11 Avril 1946, exactement un an après mon engagement ! Je pouvais alors
réaliser le chemin parcouru pendant cette première année, chemin qui m'avait conduit vers
une autre destinée que celle envisagée. Bien avisé aurait été celui qui aurait
pu me prédire ce que seraient les suivantes . J'aurais pu comme beaucoup d'autres accomplir encore une année
sous les drapeaux et résilier ce contrat dont les clauses initiales ne s'étaient pas réalisées.
Ou bien continuer cette carrière dans le Service Général, à assurer ces taches obscures
et ingrates mais nécessaires de la bureaucratie (on appelait cela " la paille), sous les lazzis des
autres spécialistes tels que mécaniciens ou navigants. L'avenir en décidera autrement, mais
nous n'en sommes encore pas là !
Aussitôt débarqué, je fus donc acheminé avec d'autres militaires vers la Base d'El-Aouina,
située à 6 kilomètres environ de Tunis.
Les études de comptabilité que nous avions suivies nous permettaient d'assurer des postes différents…administration
du personnel, gestion financière, gestion du matériel technique, habillement ou autre. Les besoins
de l'administration m'aiguillèrent vers la branche " alimentation ", c'est à dire la comptabilité
des mess (popotes) officiers et sous-officiers. Sous la responsabilité du gérant des mess (un adjudant-chef),
j'avais en charge la comptabilisation des finances , des matériels de toutes sortes et des denrées
alimentaires.
Le personnel que je côtoyais là, en dehors de mon chef, était un sergent chargé du ravitaillement,
des soldats engagés volontaires affectés aux taches de service à table et au bar, et des prisonniers
de guerre allemands chargés de la cuisine. Il y avait parmi ces P.G. un ancien chef-cuisinier sur le Normandie,
c'est dire qu'il pouvait réaliser de bons menus quand le ravitaillement le permettait. Il est à noter
que si en Métropole on subissait toujours des restrictions alimentaires, en Tunisie, ce n'était pas
le cas. La seule restriction était celle du budget .
Les tâches de comptabilité ne me mobilisant pas trop, bien vite je fus amené à me joindre
aux soldats et familiariser avec eux. J'étais plus jeune qu'eux, et mon galon de caporal-chef, puis de sergent
dès le 1er juin ne constituait aucune barrière entre nous. Cela engendra un climat légèrement
équivoque, où j'étais aussi bien comptable que serveur ou client au bar avec ces nouveaux
copains. L'ami Aimé Bornarel que je revois de temps à autre dans son Bugey est encore là pour
en témoigner avec grande nostalgie.
Je gardais cet emploi jusqu'en Décembre 46. Puis je me fus envoyé en détachement temporaire
à Sidi-Ahmed, une autre base aérienne près de Bizerte, port au nord de la Tunisie. Peut-être
le Commandement de la Base avait-il pensé qu'un peu d'éloignement me serait salutaire ? La mobilité
des militaires a toujours été chose courante, il est vrai.
La vie en Tunisie était différente de la Métropole. En été, nous faisions "
journée continue ", c'est à dire de 6 heures à 13 heures, avec pause casse-croûte
vers 9 heures. L'après-midi c'était repos, avec possibilité de se rendre aux plages proches.
Des camions nous emmenaient principalement à la plage d'Amilcar (près de Carthage), réservée
à l'Armée de l'Air.Les autres sorties de " quartier libre " se faisaient les samedis après-midi
et les dimanches.
L'agglomération de Tunis était desservie par une sorte de tramway appelé le TGM (Tunis/la
Goulette/la Marsa), un circuit faisant le tour des plages, puis El-Aouina en circuit fermé. Mais il n'était
pas très pratique et ses horaires s'arrêtaient tôt le soir. Bien souvent, après une séance
de cinéma ou autre sortie, nous étions presque obligés de rentrer à la base en calèche.
Pas très onéreux comme taxi, mais pas rapide non plus, sur 6 kms !
Nous fréquentions l'avenue principale de Tunis où se trouvaient cinéma, cafés-restaurants,
et cathédrale. Il était bien vu de se rendre à la messe le dimanche matin, c'était
aussi l'occasion de voir les jeunes filles de familles françaises établies là-bas. La Tunisie
comptait des communautés importantes de Juifs, de Siciliens et Maltais.
Les sorties dans les Souks (quartier marchand arabe) étaient fréquentes pour les militaires. Il fallait
y pratiquer le marchandage traditionnel, sachant que le premier prix offert ou affiché était à
diviser par deux ou trois, sinon plus ! Sans compter les malfaçons adroitement dissimulées. Comme
tous les quartiers arabes des villes d'Afrique du Nord, ils avaient un attrait irrésistible.
Les Souks comportaient aussi un quartier réservé avec maisons spéciales que ne pouvaient fréquenter
que les adultes (de plus de 21 ans). Comme je n'avais pas cette majorité leur accès m'était
en principe interdit, tolérance admise cependant aux militaires en tenue et donc émancipés
! Tous ceux qui ont vécu à Tunis en cette période se souviennent de la rue Abdallah-Gueche
ou autres noms évocateurs !
Après mon détachement de quelques semaines à Sidi-Ahmed/Bizerte, je réintégrais
El-Aouina en Mars 47, mais pour une nouvelle affectation : la Compagnie Territoriale de Réparation et Ravitaillement
Technique. Cette fois, finie la comptabilité des bouteilles et denrées alimentaires de la popote,
je passais à celle des voitures, moteurs, matériels aéronautiques, outillages, etc… guère
plus exaltant , mais ambiance plus sérieuse.
Bien que voyant toujours mes anciens copains, je fis de nouvelles fréquentations, des nouveaux brevetés
mécaniciens arrivant de la Base Ecole de Rochefort . La plupart étaient brevetés mécaniciens
sur avion ou sur moteur d'avion, mais se retrouvaient là à travailler sur des véhicules ou
en chaudronnerie. La seule unité navigante de El-Aouina était une petite escadrille de liaison au
parc avions plus que modeste et ne nécessitant pas un personnel mécanicien très important.
C'est à cette période que je pris envie de me lancer dans la moto. Plusieurs de ces mécaniciens
en avaient une, ce qui m'incita à en chercher une. N'ayant pas des finances bien importantes, je trouvais
une ancienne moto militaire Allemande (provenant des récupérations de guerre). C'était une
250 cc. de marque TWN (Triumph Werke Nuremberg) ; moto 2 temps à 2 pistons avec chambre de combustion unique
; un engin assez nerveux, mais ayant la fâcheuse tendance au rétro-allumage. D'ailleurs, un soir de
sortie, après le cinéma, lors de la mise en route de la machine, elle prit feu au carburateur, provoquant
un attroupement et l'arrivée de policiers. Le feu s'éteignit de lui-même, mais comme je n'avais
pas de permis de conduire, je fus conduit au poste de police pour y être présenté au Commissaire
Principal(Français). Grosse surprise de celui-ci lorsqu'il vérifia mes papiers… il était lui-même
originaire de Chateaurenaud ! de la famille des Vincent, au hameau des Gruyères. Si bien que l'aventure
se termina au bar du Commissariat où trinquèrent les deux compatriotes bressans… J'en ressortis avec
une invitation à passer le permis au plus tôt et un conseil de changer de moto si possible !
A la suite de cette aventure, je me mis donc à la recherche d'une autre bécane. Je réussis
a refourguer la première et trouvais une moto (Anglaise, cette fois, issue des surplus militaires alliés)
500 cc. BSA avec un side-car. Je n'étais pas peu fier avec cette " grosse " moto… et je passais
sans difficulté le permis " avec side-car ".
Cet engin devint alors un moyen de transport commode pour les sorties avec les copains. Mais lors de l'une de ces
sorties, (sans doute un peu arrosée), nous nous retrouvions au retour à sept entassés sur
l'engin. Bien que le trajet n'était pas important, il arriva cependant que la moto et son équipage
culbutent au fossé dans un virage. Nous nous en sortîmes tant bien que mal et rentrions à la
base en poussant la machine. Au passage au poste de police à l'entrée de la base, nous fumes repérés
et devant l'état inquiétant de quatre d'entre nous blessés (dont moi), une ambulance nous
emmena à l'hôpital militaire de Tunis. Heureusement, les blessures n'étaient pas graves, et
au bout de quinze jours nous étions de retour à la base. L'histoire ne se termina pas là,
car je fus gratifié d'une punition de 15 jours d'arrêts simples (c'est-à-dire travail normal
la journée, mais les nuits dans une chambre spéciale sous surveillance). Je me souviens du motif
de la punition… " A entraîné ses camarades dans une sortie à motocyclette et, par son
imprudence, a provoqué un accident motivant l'indisponibilité de 4 personnes pendant 15 jours".
Les mois, les années passaient dans l'insouciance de la jeunesse. La famille était bien loin, nous
ne rentrions qu'une fois par an en France pour les congés, mais la nostalgie du pays était une maladie
inconnue pour moi. Nous avions droit, à cette occasion annuelle des congés à un passage gratuit,
par bateau ou avion militaire . C'est ainsi que j'eus le plaisir de prendre mon baptême de l'air. En l'occurrence,
c'était sur un bombardier quadrimoteur anglais " Halifax " très impressionnant. Une soute
(à bombes) se trouvait au milieu de la cabine fuselage, et il y avait un passage très étroit
et des banquettes rudimentaires de chaque coté. Aucune insonorisation ni climatisation, bien sûr,
une ambiance bien différente des avions de ligne civils que je connus plus tard.
Mon Unité change de nom et s'appelle " Parc de la Base Aérienne N° 157 "
Evénement exceptionnel aussi pour moi, je fus désigné pour une mission spéciale consistant
en un voyage en camion, seul avec un soldat chauffeur, de Tunis à Alger et retour. Le but de cette mission
était un transport de moteurs de camions à déposer ou échanger successivement à
Constantine et Alger (Hussein-dey). C'était pour moi une étrange aventure pleine d'inconnues et une
grosse responsabilité . Il faut dire qu'à cette époque, les risques se limitaient plus à
d'éventuelles pannes techniques qu'à des questions de sécurité, comme ce fut le cas
plus tard . Jusqu'à Constantine (Est Algérien), tout se passa bien. Mais à l'Etablissement
militaire ou je devais faire des échanges de moteurs, ceux-ci n'étaient pas prêts, et je dus
attendre plusieurs jours, logeant à l'hôtel. Là, petite aventure s'ensuivit, si bien que j'y
serais bien resté plus longtemps…
La suite du parcours se déroula sans autre incident notable et nous rentrâmes à Tunis une dizaine
de jours plus tard que prévu, mais sans griefs à mon encontre. Je repris mon travail de magasinier-comptable
technique jusqu'à Juin 1949.
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G. G. Chanzy, Marseille-Tunis
Tunis El-Aouina
Le jeune sergent devant le mess Sous-off
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