Les années dans le Personnel Navigant.
1. Le circuit des écoles de pilotage.
Marrakech
Le 23 Novembre 52, nous embarquions donc par train direction Bordeaux, puis
par avion vers Casablanca. Acheminement sur Marrakech par le train. Nous étions un fort contingent d'élèves,
et nous apprenions en arrivant qu'il y avait déjà pas mal de candidats en attente auxquels nous allions
être adjoints. Le recrutement avait été sans doute mal planifié, et le surplus exigeait
des délais d'incorporation dans les promotions. Une promotion , d'une cinquantaine d'élèves
débutait environ tous les 2 mois. L'école interrompait la formation en Juillet-Aout, la chaleur étant
trop forte, pour les avions surtout.
Nous étions logés provisoirement dans de curieuses huttes rondes appelées " noualas "
d'un confort plus que rudimentaire. Dès que la chaleur printanière se manifesta, une climatisation
aurait été bienvenue…hélas, il n'en était pas question. La nuit, nous sortions les
lits dehors pour bénéficier d'une relative fraîcheur.
Les quelques élèves pilotes non sous-officiers étaient astreints à une instruction
militaire, mais ceux qui étaient déjà titulaires d'un brevet de mécanicien était
employés sur les avions. Pour moi, je fus inévitablement employé aux écritures… mon
brevet de comptable était repéré !
En cette période , nous bénéficiions d'une relative liberté pour les sorties, du moins
pour les sous-officiers. Nous étions une bonne équipe à en profiter au maximum. Nous nous
étions équipés de vélomoteurs ou motos et nous partions en expédition dans les
environs de Marrakech . Lors d'un week-end à deux jours fériés, nous sommes allés camper
dans la vallée de l'Ourika… les tentes n'étant que nos couvertures.
Les " virées "en ville sont assez fréquentes, la découverte de la Place Djema-El-Fna
et la Medina, la célèbre Mamounia où nos incursions sont source d'inquiétude au début,
mais se terminent dans la bonne humeur, les jardins merveilleux de la Ménara et autres palmeraies. J'eus
aussi la chance de faire un stage de ski aux environs de Pâques, à l'Oukaïmeden, l'un des sommets
de l'Atlas au voisinage de Marrakech. C'était la première fois que je chaussais des skis et je dus
attendre bien des années pour recommencer… après l'armée.
Notre groupe dût attendre 5 mois avant d'être incorporé à la promotion 53/D (4ème
promotion de 1953) . L'instruction commençait d'abord par des cours théoriques concernant les diverses
matières : Mécanique, avion, aérodynamique, météorologie, réglementation
aérienne , etc.
Cette première phase se déroulait en mai-juin 53, avant la fermeture annuelle de l'école.
Ce n'est qu'en Septembre que commença la progression en vol et que nous découvrîmes ce North-American
A-T6 mythique sur lequel tous les pilotes militaires alliés de la 2e guerre. mondiale avaient déjà
appris le métier . Premiers vols exaltants, bien sûr, mais stressants aussi. Cet avion, bien que déjà
ancien de plus de 15 ans était bien plus moderne que le Stampe de Mitry . Il s'apparentait un peu aux chasseurs
de la 2ème guerre mondiale. Il devait d'ailleurs servir comme tel quelques années plus tard lors
de la guerre d'Algérie. Avion à train d'atterrissage rentrant, moteur très robuste, et équipé
au besoin de mitrailleuses et lance rockets.
La première phase d'entraînement doit aboutir au lâcher en solo aux environs de 25 heures de
vol. Sans être dans la catégorie " champions ", je suis lâché dans les normes,
à ma grande satisfaction. Nous sommes deux élèves attitrés à un moniteur, mais
celui-ci change assez souvent par suite des roulements de personnel. Pour la plupart, ce sont des jeunes sergents
qui ont été brevetés " Chasseur " aux USA les années précédentes
et qui se retrouvent sur le T6 de leurs débuts au lieu d'être dans un groupe de chasse sur les nouveaux
réacteurs qui commencent à équiper notre Aviation de chasse. Bien que je sois sergent-chef,
je suis l'élève, devant obéissance et considération à mon moniteur-sergent ;
Dans l'ensemble ils sont d'ailleurs plutôt sympas, même si certains sont un peu pédants… j'en
eus un pendant quelque temps, mais tout se passa bien quand même.
L'école comporte quatre escadrilles en plus de celle affectée à la DMP (Division d'entraînement
des moniteurs-pilotes). Chacune de ces escadrilles accueille une des promotions et la suit tout au long de sa progression,
pendant 10 mois. Nous sommes à la 4éme, sous les ordres du Capitaine Quercy.
Notre promotion d'élèves pilotes (MRK-53.D) est scindée en 2 groupes. L'un vole le matin,
l'autre l'après-midi.La demi-journée sans vol est consacrée aux cours techniques au sol ,
ainsi qu'au simulateur de vol qu'on appelait " Link-Trainer " Cet engin n'avait rien de comparable aux
simulateurs de vol que l'on voit maintenant sur les ordinateurs ! Cabine fermée, dans le noir complet, avec
uniquement les instruments de vol éclairés. Cette cabine oscillait sur ses 2 axes. On sortait de
là tout estourbi !
Désormais, cette demi-journée sans vol nous paraît un peu rébarbative, mais pas question
de s'y soustraire ni même d'y être en dilettante. Ces cours sont sanctionnés de nombreux examens
qui auront presque autant de poids que les tests en vol dans le palmarès final. Vu l'intense activité
aérienne des cinq escadrilles volant toute la journée et la nuit, il existe un terrain de dégagement
à proximité de Marrakech, c'est Sidi-Zouine. Chaque matin, un antique avion de transport Junker-52
" la Julie " transporte une quinzaine d'élèves sur ce terrain tandis que le même
nombre d'élèves partent avec leur moniteur sur un T6. Les séances d'atterrissage s'effectuent
sur ce terrain. Le changement d'élève se fait donc à Sidi-Zouine après la première
séance de vol, le Ju-52 ramenant la 1ère équipe en fin de matinée. L'après-midi,
le même scénario se reproduit .
Traditionnellement, dans chaque promotion, on organise un " arrosage " à certaines occasions.
Le premier intervient lorsque tous les élèves ont été lâchés. D'autres
plus ou moins importants suivent, marquant une étape importante. L'apothéose arrive avec la fin du
stage. Là, c'est la grande fiesta. D'abord l'arrosage à l'escadrille en fin de matinée, avec
photo de groupe autour et sur un T6, élèves et tout l'encadrement. Des tables sont disposées
dans un hangar, et boissons sont copieusement servies . L'ambiance n'est pas morose, chants repris en chœur et
sketches. Après cet arrosage, on se dirige au mess où la fiesta continue jusqu'à une heure
avancée de l'après-midi.
Enfin, le stage se termine aussi par un repas en ville offert par les élèves à tous les moniteurs
et officiers d'encadrement.
Cette phase d'entraînement au pilotage élémentaire sur T.6 est suivie d'une deuxième
partie : soit la spécialisation " pilote de chasse " qui se déroule à Meknès
(Maroc) soit la spécialisation " pilote de transport bi-moteur " prévue à Avord
(Cher). Le choix est déterminé surtout par le Commandement en fonction de plusieurs critères
: d'abord la question de l'aptitude physique (pour moi, la question est tranchée dès ce critère,
n'étant pas apte " chasse "). ; ensuite intervient les aptitudes au pilotage, les missions étant
très différentes ; enfin on peut laisser le choix à certains en fonction des places vacantes
et des désidérata personnels, en général cela ne pose pas de problèmes .
Nous sommes fin juin 1954, et le contingent destiné à Avord et dont je fais partie est embarqué
par avion sur Casablanca et Bordeaux. Nous allons bénéficier d'un bref congé avant de rejoindre
notre nouvelle affectation le 9 juillet. Je profite de ce retour en France pour enfourcher à nouveau la
moto et la ramener à Avord.
Photo de fin de stage de la promotion MRK-53D
(je suis le premier à gauche)
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Le réveillon de Noel 52... on l'arrosera copieusement, je pense! Contraste entre l'arrière
plan très spartiate et la table bien garnie (de G à D: moi, Faubert, Malfroid, Belotti et Tranier)
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