Mes jeunes années dans l'Armée de l'Air.(Suite 13)

Les années dans le Personnel Navigant.
3.
 "Afrique Equatoriale": - Bangui, République Centrafricaine -
Groupe Aérien Mixte d'Outre-Mer N° 83 "Béthune"

En accord avec mon épouse, en 1958 je faisais une demande de mutation dans les territoires d'Outre-Mer . C'était encore l'époque des colonies, ou plutôt de la Communauté Française. Tous les anciens territoires de l'A.O.F. et A.E.F. avaient dû se déterminer sur leur avenir et accéderaient plus ou moins rapidement à leur indépendance. C'était le cas de l'ancien Oubangui-Chari qui faisait partie de l'Afrique Equatoriale Française et qui devint indépendant sous le nom de République Centrafricaine en 1959.
C'est précisément là (Bangui) que je fus affecté début 1959, à l'E.O.M. 83 (qui deviendra G.A.M.O.M. , Groupe Aérien Mixte Outre-Mer N° 83au 1er Octobre 59).

Comme nous partions tous trois, il fallut donc libérer notre appartement de La Guerche, confier notre mobilier à un garde-meubles, vendre la traction et emballer tout ce qui pouvait nous être utile dans ce nouveau pays. Une grande caisse contenant nos excédents de bagages fut expédiée par voie maritime. Nous avons dû attendre pas mal de temps avant de la réceptionner à Bangui. En effet, les bateaux accostaient à Pointe-Noire (Congo Français), de là vers Brazzaville par fer puis vers Bangui en remontant le fleuve Congo.
Nous sommes partis du Bourget par un DC.6 de la Cie U.A.T., voyage assez agréable, même pour Annie et Jacques (1 an) qui n'avaient jamais pris l'avion. L'arrivée fut très dépaysante, étant partis de France un 18 février avec une température hivernale pour débarquer à Bangui en conditions tropicales. Ce fut un peu dur de s'acclimater, surtout pour ma famille.

Nous avons occupé successivement deux logements assez spartiates en ville avant de reprendre un logement vacant sur la base aérienne. Ces logements étaient plus spacieux quoique sommairement équipés et dans un cadre agréable : beaucoup d'arbres, dont manguiers, avocatiers. Un régime de bananes était toujours pendu sous la galerie, on avait donc en permanence de succulentes bananes à consommer. Dans les dépendances nous avions même un petit poulailler où on élevait des petits poulets " Batékés " que notre boy se chargeait de préparer en cuisine. De plus toutes les familles étaient proches ce qui arrangeait bien des choses, surtout lorsque les maris étaient obligés de s'absenter pour des missions ou déplacements .
Le séjour normal étant de deux ans, comme la plupart des familles, nous avons cherché une voiture qui s'avérait bien utile pour aller faire les courses en ville (distante de 5 kms de la base environ ). Je trouvais encore une Citroën traction-avant 11 Légère qui m'a donné satisfaction pour nos besoins . Il n'était guère question de s'aventurer bien loin, les routes hors agglomération n'ayant pas particulièrement de bons revêtements, c'était la latérite en " tôle ondulée "!
Chaque famille prenait à son service un " boy " noir. Il était de tradition de reprendre celui qui était attaché au prédécesseur sur ses recommandations ! Si par hasard il n'était plus disponible, il ne manquait pas de nous présenter un remplaçant très bien sous tous rapports ! En fait ces " boys " étaient très heureux de leur emploi, le travail n'étant pas spécialement abondant à Bangui. Leur salaire, bien que modeste était très apprécié, surtout qu'ils bénéficiaient d'avantages en nature qui parfois leur permettaient de nourrir leur famille. Ils ne manquaient pas de préparer des repas plus copieux que nécessaire dans ce but-là.
Pour ce qui concerne le travail que nous assumions dans cette escadrille, il s'avérait assez intéressant. Nous disposions d'un avion bien connu, le bi-moteur Dassault Flamant. Avion semblable à celui d'Avord, mais dans la version 315 adapté à des missions particulières tel que le maintien de l'ordre éventuellement: Avion à poste de pilotage unique, armé de deux mitrailleuses cal. 12,7 mm et 2 lance-bombes ou rockets.
En fait, nous n'utilisions cet armement que pour des missions d'entraînement au champ de tir de Yaka tout proche de Bangui ou en manoeuvres.
Les équipages comportaient trois membres : pilote, radio-navigateur et mécanicien. Les missions ordinaires consistaient en des liaisons postales dans les postes éloignés et dont les voies d'accès étaient souvent impraticables en période des pluies tropicales (été). Il arrivait aussi assez fréquemment que nous effectuions des évacuations sanitaires au profit des populations civiles : maladies nécessitant hospitalisation ou accidents (entre autres, accidents en safaris).
En plus des Dassault Flamant, nous disposions aussi de monomoteurs "Broussard " particulièrement adaptés aux terrains sommaires très courts. Chaque semaine cet avion assurait le circuit postal vers l'est, en deux jours, qui nous emmenait jusqu'aux frontières du Soudan. Nous étions attendus dans chaque poste et l'Administrateur de région nous invitait à sa table quand nous arrivions aux heures de repas ou le soir.
De même, en Flamant, la mission hebdomadaire sur Birao, vers le Nord se faisait en deux jours. Là-bas, l'Administrateur nous organisait parfois une partie de chasse au petit gibier avec sa Land-Rover et son chauffeur. La brousse ne manquait pas de pintades, outardes qui étaient à portée de nos fusils. J'avais d'ailleurs demandé à un ami (Lachaume) qui était pilote de transport à Orléans et faisait des missions vers l'A.E.F. de m'apporter le fusil de chasse que j'avais laissé chez mes parents.
A cette période, il y avait des safaris de chasse qui se déroulaient en Centrafrique. Les défenses d'ivoire étaient taxées mais autorisées. Certains d'entre nous en achetaient pour les ramener en France plus ou moins légalement. Nous avions l'occasion de survoler d'impressionnants troupeaux de buffles, éléphants, hippopotames et toutes sortes d'antilopes.
Lors de nos escales dans les postes, nous côtoyions parfois des personnages pittoresques, tels " Caïman ", chasseur de crocodiles ou le Chevalier d'Orgeix, aventurier connu. Ce dernier avait coutume, lorsque nous décollions, de se mettre en bout de piste, bras en croix, alors que nous avions tout juste assez de longueur de piste pour décoller. Comme on savait qu'il ne se déplacerait pas, nous étions obligés d'arracher l'avion in extrémis pour l'éviter. J'ai personnellement eu à expérimenter ce genre d'exploit, contre mon gré évidemment !
Aout 59 vit la naissance de notre fille Monique dans des conditions un peu pénibles pour la maman et l'enfant à cause du climat particulièrement malsain à cette époque. D'ailleurs, malgré un petit stage de repos en bordure de mer à Pointe-Noire qui nous fut accordé, il fallut se résoudre à rapatrier la famille en Juillet 60. Je me retrouvais donc seul , en célibataire pour les six mois restant à accomplir.
Au cours de ce séjour à Bangui, j'eus l'occasion d'effectuer un convoyage d'avion de Châteaudun à Bangui en Juillet 60, long périple de 4 jours traversant Algérie, Sahara , le Niger et le Tchad.
Nous participions aussi à des manœuvres interarmes dans le nord du Tchad, le Tibesti aux confins de la Lybie. Ce sont des régions d'un pittoresque sauvage très impressionnant. Le Cameroun était aussi l'objet d'une guérilla interethnique en ces temps-là. L'aviation militaire française devait participer à la contre guérilla en appui aux éléments terrestres locales, principalement l'escadrille de T.6 qui faisait partie de notre GAMOM-99. Les Flamants et Broussards furent aussi envoyés à Douala pour diverses missions de reconnaissance et photographie. J'ai été envoyé trois fois en détachement au Cameroun dans le cadre de ces missions. Ces détachements duraient 8 à 10 jours, et les familles en pâtissaient plus que nous, en fait. Heureusement il y avait une très grande solidarité entre elles quand un équipage était absent.
En décembre 60, nous attendions la venue au monde d'un troisième enfant. Malheureusement, la petite fille (Isabelle) qui arriva ne survécut que quelques heures à sa naissance. Ce fut encore une dure épreuve pour la famille séparée . En effet, il n'était pas question pour moi de rentrer en France avant la fin du séjour prévu en Février 61.
Donc, le 18 février, 2ans exactement après notre arrivée, j'embarquais en direction de Paris-Le Bourget où j'arrivais le lendemain. Annie était venue m'y accueillir ; il y avait 7 mois que nous étions séparés et la vie n'avait pas été rose pour elle pendant cette période.
A Bangui, après le départ de ma famille, j'avais revendu notre Traction AV, n'en ayant plus la nécessité. En vue du retour, nous avions commandé une Panhard - PL17 dont je devais prendre livraison à Paris à mon retour. Après quelques petits déboires, nous réussissions quand même à récupérer cette voiture en fin de soirée (quartier de Javel) et de sortir de la capitale sans trop de difficultés. Nous avons cependant préféré faire une escale quelque part en Champagne et rentrer à Saint-Dié le lendemain. Grande joie de retrouver les enfants et beaux-parents.
Je bénéficiais alors des congés concernant les 2 années de séjour à Bangui, étant administré par le Centre de Nancy-Essey.

Suite aux déboires de santé que nous avions éprouvés, avec comme conséquence une vie de famille perturbée, j'avais demandé à faire valoir mes droits à pension de retraite proportionnelle et donc de quitter l'armée . Je comptais alors 16 ans de service et je pouvais y prétendre. Dans cette optique, pendant mes mois de " célibat ",j'avais préparé par correspondance un CAP de comptabilité et je m'étais inscrit à l'Académie de St-Dié pour en subir les épreuves. Je passais donc sans peine ce petit diplôme qui me permettrait de trouver un job dès ma libération.
Grande fut ma déception lorsque j'appris qu'au lieu d'une mise à la retraite j'étais affecté en Algérie, ce qui supposait un minimum de 18 mois de service supplémentaire, et surtout 18 mois de séparation de ma famille. La guerre d'Algérie interdisait toute éventualité d' emmener femme et enfants.
Passant la visite médicale annuelle de contrôle (aptitude au pilotage), je fus déclaré inapte temporaire pour 3 mois, suite à des douleurs arthritiques . Je devais suivre pendant ces 3 mois des séances de rayons à l'hôpital de Nancy . A la fin de mes congés, je réintégrais donc la Base de Nancy-Essey sans fonction bien définie autre que mes séances de soins à l'hôpital. Je pouvais donc m'esquiver assez facilement pour rejoindre ma famille à Saint-Dié. A l'issue des 3 mois, la contre-visite me déclara apte au pilotage et mon affectation en Algérie fut donc réactualisée pour le GLA-45 à Boufarik.

L'insigne de la Base Aérienne de Bangui (défense d'éléphant et chasseur avec sagaie)




 

En vol sur Flamant 315, de Bangui à Bouar

 

Le Broussard qui était utilisé sur les terrains courts de Centrafrique

 

Une vue des logements de la base de Bangui: beaucoup de verdure (manguiers)

 

Jacques visite les poulets au poulailler...

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Monique, née à Bangui le 7 aout 59

 

Le rire malicieux de Jacques!

 

La famille au complet peu avant le retour anticipé de femme et enfants pour raison de santé.

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